La restauration, nouvel eldorado des entreprises ?

La restauration, nouvel eldorado des entreprises ?

28 mars 2023, Par Maria Zanotelli

Mais pourquoi y a-t-il tant de néo-restaurateurs dans le secteur ?

Vous aurez remarqué comme nous que de nombreux lieux de vie et de restauration hybrides voient le jour depuis plusieurs années, et de manière exponentielle depuis la "fin" de la pandémie. Par restauration hybride, on entend à la fois des lieux montés par des marques de vêtements que des fromagers qui font des restos, on entend à la fois les pop-up à l'occasion d'événements ciblés que les lieux « en dur », voués à perdurer. Nous, on les qualifie de néo-restaurateurs car, que ce soit des marques qui décident de bosser avec un chef pour créer un resto ou des commerces de bouche qui décident de faire de la restauration à table en plus de leur activité principale, ça n'est pas leur métier premier.

Pourquoi se lancer dans une activité à la réputation aussi sulfureuse que la restauration, avec le manque de main d'œuvre actuel et les difficultés à fidéliser le staff, avec les clients aux exigences changeantes et toujours plus élevées, et avec les horaires d'un autre monde ? Tout simplement parce que ça marche. Si, pour certains c'est un moyen de développer le flux de clients dans leur(s) magasin(s), c'est pour d'autres un moyen d'augmenter sa notoriété et de renforcer son image de marque, alors que pour une troisième catégorie il s'agit plutôt de valoriser son produit et de prolonger l'expérience client. On a échangé à ce sujet avec Sophie Ribault, directrice associée de Woki Toki, agence RP spécialisée dans la restauration, et on a parlé fromagerie et restauration avec Damien Richardot, fondateur de Monbleu.

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Crédit photo : L'agence Versions – Bar Citron



Diversifier pour développer sa fréquentation


La première raison qui peut pousser un commerce ou une marque à faire de la restauration en plus de son activité principale, c'est, tout simplement, pour augmenter sa fréquentation et donc sa rentabilité. En créant un nouveau lieu dédié à la restauration à proprement parler, et plus seulement à la vente (de produits qui peuvent parfois être assez niche), on crée du trafic supplémentaire donc des revenus supplémentaires. Parfois, ce sont des choses que l'on n'avait pas envisagées qui se retrouvent best-sellers et qui font venir les gens.

On pense ici à IKEA, dont les restaurants et les produits d'épicerie représentent 6% du chiffre d'affaires total. En 2017, 30% des visiteurs allaient chez IKEA uniquement pour la food. Une belle performance qui n'avait pas été envisagée, mais qui a ouvert le champ des possibles. C'est pour cela qu'IKEA tente depuis plusieurs mois de créer un concept de restaurants IKEA hors des magasins. En plus de ça, le groupe qui possède IKEA est aussi en train de plancher sur un concept de food halls nordiques, actuellement en développement en Chine, en Inde, et aux États-Unis. S'ils se lancent, c'est parce que, grâce à l'offre de restauration dans les magasins IKEA, ils se sont rendu compte que leur clientèle était très demandeuse de ce type de nourriture et de produits. Action, réaction. On en vient presque à se demander ce qu'attendent des grandes enseignes comme Castorama ou la Fnac pour créer leur café, bistrot, cantine ou autre… Pourvu que l'offre soit carrée, soignée, et cohérente, cela pourrait leur rapporter gros.

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Crédit photo : Ikea Franconville
Diversifier pour renforcer son image de marque

Diversifier pour renforcer son image de marque

Globalement, cela fait un peu plus de vingt ans que des marques qui n'ont rien à voir, en apparence, avec la nourriture, se lancent dans la restauration. Pourquoi ? Parce que la mode et l'art de vivre sont très proches, et le fait de passer à table cristallise tout ce qui fait le lifestyle : art de la table, goût, style, atmosphère, émotion. « La food est un art de vivre de plus en plus populaire. […] C'est un territoire que les marques de Luxe (ou pas) ont de plus en plus envie d'approcher car la mode a souvent été considérée comme « superficielle ». [...] Ce qui lie ces deux mondes, en revanche, c'est la création, le choix des matières premières et une certaine vision de l'excellence. » selon Sophie Ribault.

Crédit photo : @ralphscoffee
L'exemple phare, c'est Ralph Lauren, qui a ouvert un premier restaurant à Chicago, puis le second à Paris en 2010, et d'autres à New York, Milan, et Chengdu. Tous sont dans cet esprit de country club citadin et moderne, et l'offre de restauration est très simple : des burgers, des viandes grillées, des basiques rassurants. Surtout, tous ces établissements perdurent : les grandes marques ne font pas que dans l'éphémère. Comment ces restaurants font-ils pour perdurer ? Pour Sophie Ribault : « Il y a plus de 10 ans, ils n'avaient pas vraiment besoin de l'aura d'un chef. Le succès du restaurant [Ralph's] s'est surtout exprimé par sa décoration et sa magnifique cour cachée. Également, la carte des grands classiques américains faisait plutôt bien le job. On peut aussi penser au restaurant Armani Caffè, piloté par Massimo Mori, qui est bien en place depuis plusieurs années, […] et Armani Ristorante a même une étoile au guide Michelin. »

Crédit photo : Kim Leow – Café Dior
Bien sûr, collaborer avec un.e chef.fe de renom est aujourd'hui un grand plus. Pour Sophie Ribault, « il faut avant tout travailler avec un chef reconnu. Il faut que l'image de ce chef soit cohérente avec l'image de la marque. Parfois, un gros décalage ou contraste d'image peut aussi avoir un super effet d'agitateur qui se révèle bénéfique dans les deux sens. Il y a donc l'évidence mais il y a aussi l'inattendu. Dans les deux cas, il faut que le chef ait déjà été remarqué. » … ainsi de Dior et Jean Imbert, ou de Louis Vuitton avec Mory Sacko. Dans ce genre de collaboration, ce ne sont pas que les fans de la marque qui vont se déplacer, mais aussi les fans de ce.tte chef.fe. Cela leur donne une porte d'entrée vers la marque avec un a priori positif – et une plus forte propension à en acheter, donc à générer du revenu supplémentaire pour cette marque.

Crédit photo : The Seoul Girl – Café Dior

Ou diversifier pour mettre en valeur son savoir-faire et prolonger l'expérience client

Enfin, il y a les commerçants « de bouche » qui se mettent à la restauration. Le meilleur exemple, c'est la cave à manger, expression passée dans le langage courant (merci Le Fooding) alors qu'elle désigne l'hybridation par excellence. La cave, le caviste, c'est l'endroit où l'on va acheter ses bouteilles de vin, point. La cave à manger permet non seulement d'acheter des bouteilles de vin, mais aussi de les déguster sur place, accompagnées de “petites assiettes à partager” en étant entouré.e d'autres clients qui font la même chose. Tout de suite plus convivial que de juste s'entendre demander “D'accord vous avez déjà une idée en tête ? Un budget peut-être ? Vous aimez quoi, comme région ?” et de bégayer pendant qu'on sent le regard des autres clients dans la boutique. À présent, ces caves à manger sont d'ailleurs plutôt des restos qui vendent des bouteilles à emporter, plus que des caves qui font accessoirement la popote.

Il y a aussi des commerçants de l'alimentaire qui se lancent dans la restauration, ce n'est pas réservé à ceux qui font dans la boisson. Il y a dorénavant bon nombre de boucheries qui font aussi restaurant. Elles permettent aux clients de choisir leur pièce de viande, grâce aux explications fournies par un.e boucher.e sur sa provenance, sa race, etc. puis de les déguster sur place, comme chez Bidoche, dans le 11ème arrondissement de Paris, ou à L'Argot à Lyon. On a la même chose pour les fromagers, qui se déclinent en restaurants spécialisés dans le fromage. On citera ici Monbleu et ses trois adresses parisiennes, dans lesquelles on peut aller acheter sa dose de lactose comme aller la consommer directement sur place, cuisinée comme il se doit et accompagnée d'un verre de vin. Nous avons échangé avec Damien Richardot, le fondateur : restaurateur depuis déjà 15 ans, il a souhaité se replonger dans le monde du fromage dans lequel il avait plus ou moins baigné pendant sa jeunesse, dans les Alpes. Il voulait pouvoir « sélectionner les meilleurs fromages en étant vraiment fromager » puis les « mettre en lumière dans un restaurant » et fournir une belle expérience aux clients, de la fromagerie comme du restaurant. Aujourd'hui, les deux parties de son business ont trouvé leur clientèle et ont autant de succès : 30% du CA environ pour la fromagerie et 70% pour la restauration, ce qui toutes proportions gardées montre que les deux pôles sont solides.

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Credit photo : Le Figaro – Bidoche, Paris

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Credit photo : Monbleu – Paris



Hier les restaurants, demain le sport et la culture ?


À une époque où la restauration vit une mutation forcée à cause de la pénurie de main-d'œuvre, peut-être que ce sont ces nouveaux modèles, qui puisent des valeurs dans d'autres milieux, qui pourront aider à assainir la maison-mère ? Quoi qu'il en soit, ces restaurants d'application nouvelle génération, qu'ils soient lancés par une marque de vêtements, un label de musique, ou un spécialiste du caviar, sont de plus en plus courants, et pour une simple et bonne raison : ils fonctionnent. Ils répondent au besoin de diversification des revenus, ils répondent à différents moments et modes de consommation, ils répondent à la demande croissante de lieux hybrides et changeants. Il y a les « halles gourmandes » nouvelle génération, à la Biltoki : des lieux qui rassemblent des commerces de bouche au même endroit, et où l'on peut acheter des produits comme les déguster directement sur place, préparés par des cuisiniers. Mais il n'y a qu'à se rendre chez Arkose, salle d'escalade située à Nation et dont l'espace restaurant et bar occupe les 2/3 de la surface et sont constamment bondés. Véritable lieux de vie, les sportif.ve.s s'y retrouvent pour grimper mais aussi pour manger, boire des coups, passer du temps ensemble, et il ne fait aucun doute que ça apporte un revenu substantiel à la salle. Alors, à quand des restaurants dans toutes les salles de sport ? Ou dans d'autres lieux d'ailleurs… Mais on vous en parle dans un prochain article.
Le saviez-vous ? le premier commerce de bouche qui a créé un resto est une boucherie, et ça a donné les bouillons

Le saviez-vous ? le premier commerce de bouche qui a créé un resto est une boucherie, et ça a donné les bouillons

Celui qui est à l'origine du premier bouillon parisien, Pierre-Louis Duval, n'était pas restaurateur : il était boucher. C'était même LE boucher, et il fournissait une clientèle nec plus ultra qui détournait les yeux des “bas morceaux” – les abats, les parures, tout le sel de la vie. Monsieur Duval, souhaitant diminuer ses pertes, s'est dit qu'il pourrait les diminuer et même, en s'adressant à un autre type de clientèle, en tirer du profit, de ces bas morceaux. Il a donc eu l'idée de créer un lieu où ils seraient cuisinés et servis sur place aux travailleurs et ouvriers qui, eux, ne feraient pas les fines bouches. C'est donc dans ce premier restaurant des Halles, en 1860, que le bouillon est né : on y servait, incidemment, du hochepot de bœuf (une sorte de pot-au-feu flamand) dans son bouillon.

Credit photo : Anonyme: Le Bouillon Duval dans le parc du Champ-de-Mars installé pour la durée de l'exposition universelle de 1878.
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